LE CAMP N° 1 ET MA LIBERATION
Je ne métendrai pas outre mesure sur la vie du Camp N 1. Elle a été décrite dune manière aussi véridique quémouvante par dautres dans leur livre : le Cdt Pouget, dans "Le manifeste du Camp N 1" et le révérend Père Stihle, dans "Le Prêtre et le Commissaire".
Le Camp N 1 se situait au nord-est du Camp 113, à trois jours de marche de celui-ci. Ce nétait pas, à proprement parler, un camp dans le genre de ce dernier. Les officiers, adjudants-chefs et adjudants qui y survivaient logeaient chez lhabitant, où une moitié de cagna leur était réservée pour chaque groupe. Faisaient toutefois exception à cette règle, dans les premiers temps de mon arrivée, les Colonels Charton et Lepage, placés en quarantaine à trois cents mètres du village dans une cabane sur pilotis, construite spécialement à leur intention au milieu de la rizière. Nous ne les voyions que très rarement. Ils souffraient dailleurs beaucoup de cet isolement.
Près de la moitié de leffectif était constitué par les rescapés des combats de Cao-Bang, de la R.C. 4, That-Ké, Dong-Ké et Langson. Les autres étaient des officiers et adjudants capturés dans la région de Nghia-Lo. Quelques éléments capturés ailleurs, au hasard des patrouilles ou embuscades, complétaient lensemble.
Dans ce camp, je retrouvai avec joie mes anciens chefs, à lexception cependant des Lieutenants Danel, Hanns et Gire, mes anciens compagnons des camps de représailles, probablement morts de faim ou de maladie, ou liquidés pour leur appartenance au service de renseignements du secteur de Nghia-Lo.
Avec les médecins présents, admirables de dévouement et dingéniosité, nous nous sentions moins vulnérables aux maladies. Ils contribuèrent à mon sauvetage, en particulier le docteur André, ancien toubib de mon unité.
Un emploi du temps, au Camp N 1, était une réplique exacte de celui en vigueur au Camp 113. Corvées, cours politiques, autocritiques, meetings, débats et discussions se succédaient au même rythme. Mais la morne et misérable existence des prisonniers était, de beaucoup, plus supportable que celle vécue par les pensionnaires du Camp 113.
Leffectif plus réduit, 150 environ, permettait déjà une meilleure organisation. Lexistence dun esprit de discipline et de solidarité plus marquée, lobservation stricte des règles élémentaires dhygiène individuelle et collective, le sentiment de sécurité quoffrait la présence de médecins compétents, daumôniers, labsence de clan et même dindividualité pro vietminh y créaient une atmosphère, une ambiance nettement plus agréables, plus sympathiques quau Camp 113.
Ce climat damitié et de sécurité relative avait aussi une influence bénéfique considérable sur le moral et le physique de lensemble des prisonniers. Cest pourquoi, malgré les maladies tropicales persistantes, la sous-alimentation, la rigueur du climat, le taux de mortalité dans ce camp durant mon séjour fut presque nul.
Quelques jours après la chute de Dien-Bien-Phu, le Camp N 1 déménagea une dernière fois. Il quitta le relief tourmente et difficilement accessible de la Haute Région pour sapprocher des axes de communication. Ce mouvement était lié à la tournure que prenaient les pourparlers de paix engagés à Genève.
Au cours du mois de juin 1954, le camp accueillit les premiers contingents faits prisonniers à Dien-Bien-Phu. Lorsque se termina la conférence de Genève, nous sûmes sans tarder que nous nallions pas traîner dans ce dernier camp avant dêtre libérés.
Dès lors, notre condition de vie saméliora, la ration alimentaire augmenta sensiblement. En quelque sorte, les Viets "nous mettaient à lengrais" pour tenter deffacer sur nos visages et sur nos corps les rigueurs de la détention. Ils nhésitèrent même pas, deux jours avant notre libération - pour que nous parûssions plus présentables - à procurer à chacun une tenue de bo-doï, chemise et pantalon de toile kaki et une paire de sandales de fabrication chinoise, genre tennis.
Cette sollicitude de dernière minute, qui confirmait, si besoin était, lhypocrisie sans égale des Viets, constatée et subie par tous les prisonniers tout au long de leur captivité, nallait cependant pas faire oublier aux survivants les . misères et les souffrances endurées. Comme, avant eux, les déportés et internés des camps de concentration nazis et japonais, ils noublieront jamais.
Le 2 septembre 1954, après une longue et pénible marche de quelques jours au cours de laquelle moururent encore une dizaine de camarades, nous atteignîmes enfin Vietri, ville de la liberté pour les prisonniers survivants du Camp N 1, quun an auparavant javais été à deux doigts datteindre.
(1) En route, vite.
(2) Nous restâmes ainsi pieds nus, durant toute notre captivité. Cette épreuve fut, avec le régime de privation subi, lune des plus pénibles à supporter.
(3) Groupe de Commandos de Marche Autonome du secteur Nord-Ouest, plus spécialement chargé de recueillir des renseignements.
(4) Je narrive pas à me rappeler le monde cet infortuné compagnon.
(5) Assemblage de bambous femelles écrasés et entrelacés.
(6) Les Viets disaient Vinh - Thuy, il pouvait sagir de Bac - Quang, à ne pas confondre avec Bac-Kan, situé plus à lest.
(7) Cest-à-dire pieds et chevilles enflés par le béri-béri, ce qui leur donnait lapparence dhumains montés sur des pattes déléphant.
(8) Confisquées dès notre capture, nos montres nous furent restituées à la libération.