Remonter ] Note de l'éditeur lors de la première parution en novembre 1991 ] Préface de Jean-Jacques BEUCLER, ancien ministre ] Déclaration de l'auteur ] Chapitre 1 : "Premier contact avec les Viets" ] Chapitre 2 : "Les camps de représailles" ] Chapitre 3 : "Le Camp 113" ] Chapitre 4 : "Ma tentative d'évasion et ses conséquences" ] [ Chapitre 5 : "Le camp n°1 et ma libération" ] Annexe ] Texte integral ] Couverture du livre "Captifs du Viet-Minh" ] Vue aerienne du Camp 113 ] Victime anonyme ] Dans l'avion ] Le bol de riz ] Deux prisonniers après leur libération ] Secours aux prisonniers ] Tract de propagande Viet-Minh ] Rééducation politique au Camp n°1 ] Jeux d'échecs (campagne d'émulation) ] Vive la paix : propagande Viet ] Entre Caobang et Namquan ] Bon de commande ] Le mémorial des guerres en Indochine ] Bibliographie sur l'affaire Boudarel ] Une étude de la National Alliance of Families for the return of America's missing servicemen ]

LE CAMP N° 1 ET MA LIBERATION

 

Je ne m’étendrai pas outre mesure sur la vie du Camp N’ 1. Elle a été décrite d’une manière aussi véridique qu’émouvante par d’autres dans leur livre : le Cdt Pouget, dans "Le manifeste du Camp N’ 1" et le révérend Père Stihle, dans "Le Prêtre et le Commissaire".

Le Camp N’ 1 se situait au nord-est du Camp 113, à trois jours de marche de celui-ci. Ce n’était pas, à proprement parler, un camp dans le genre de ce dernier. Les officiers, adjudants-chefs et adjudants qui y survivaient logeaient chez l’habitant, où une moitié de cagna leur était réservée pour chaque groupe. Faisaient toutefois exception à cette règle, dans les premiers temps de mon arrivée, les Colonels Charton et Lepage, placés en quarantaine à trois cents mètres du village dans une cabane sur pilotis, construite spécialement à leur intention au milieu de la rizière. Nous ne les voyions que très rarement. Ils souffraient d’ailleurs beaucoup de cet isolement.

Près de la moitié de l’effectif était constitué par les rescapés des combats de Cao-Bang, de la R.C. 4, That-Ké, Dong-Ké et Langson. Les autres étaient des officiers et adjudants capturés dans la région de Nghia-Lo. Quelques éléments capturés ailleurs, au hasard des patrouilles ou embuscades, complétaient l’ensemble.

Dans ce camp, je retrouvai avec joie mes anciens chefs, à l’exception cependant des Lieutenants Danel, Hanns et Gire, mes anciens compagnons des camps de représailles, probablement morts de faim ou de maladie, ou liquidés pour leur appartenance au service de renseignements du secteur de Nghia-Lo.

Avec les médecins présents, admirables de dévouement et d’ingéniosité, nous nous sentions moins vulnérables aux maladies. Ils contribuèrent à mon sauvetage, en particulier le docteur André, ancien toubib de mon unité.

Un emploi du temps, au Camp N’ 1, était une réplique exacte de celui en vigueur au Camp 113. Corvées, cours politiques, autocritiques, meetings, débats et discussions se succédaient au même rythme. Mais la morne et misérable existence des prisonniers était, de beaucoup, plus supportable que celle vécue par les pensionnaires du Camp 113.

L’effectif plus réduit, 150 environ, permettait déjà une meilleure organisation. L’existence d’un esprit de discipline et de solidarité plus marquée, l’observation stricte des règles élémentaires d’hygiène individuelle et collective, le sentiment de sécurité qu’offrait la présence de médecins compétents, d’aumôniers, l’absence de clan et même d’individualité pro vietminh y créaient une atmosphère, une ambiance nettement plus agréables, plus sympathiques qu’au Camp 113.

Ce climat d’amitié et de sécurité relative avait aussi une influence bénéfique considérable sur le moral et le physique de l’ensemble des prisonniers. C’est pourquoi, malgré les maladies tropicales persistantes, la sous-alimentation, la rigueur du climat, le taux de mortalité dans ce camp durant mon séjour fut presque nul.

Quelques jours après la chute de Dien-Bien-Phu, le Camp N 1 déménagea une dernière fois. Il quitta le relief tourmente et difficilement accessible de la Haute Région pour s’approcher des axes de communication. Ce mouvement était lié à la tournure que prenaient les pourparlers de paix engagés à Genève.

Au cours du mois de juin 1954, le camp accueillit les premiers contingents faits prisonniers à Dien-Bien-Phu. Lorsque se termina la conférence de Genève, nous sûmes sans tarder que nous n’allions pas traîner dans ce dernier camp avant d’être libérés.

Dès lors, notre condition de vie s’améliora, la ration alimentaire augmenta sensiblement. En quelque sorte, les Viets "nous mettaient à l’engrais" pour tenter d’effacer sur nos visages et sur nos corps les rigueurs de la détention. Ils n’hésitèrent même pas, deux jours avant notre libération - pour que nous parûssions plus présentables - à procurer à chacun une tenue de bo-doï, chemise et pantalon de toile kaki et une paire de sandales de fabrication chinoise, genre tennis.

Cette sollicitude de dernière minute, qui confirmait, si besoin était, l’hypocrisie sans égale des Viets, constatée et subie par tous les prisonniers tout au long de leur captivité, n’allait cependant pas faire oublier aux survivants les . misères et les souffrances endurées. Comme, avant eux, les déportés et internés des camps de concentration nazis et japonais, ils n’oublieront jamais.

Le 2 septembre 1954, après une longue et pénible marche de quelques jours au cours de laquelle moururent encore une dizaine de camarades, nous atteignîmes enfin Vietri, ville de la liberté pour les prisonniers survivants du Camp N’ 1, qu’un an auparavant j’avais été à deux doigts d’atteindre.

(1) En route, vite.

(2) Nous restâmes ainsi pieds nus, durant toute notre captivité. Cette épreuve fut, avec le régime de privation subi, l’une des plus pénibles à supporter.

(3) Groupe de Commandos de Marche Autonome du secteur Nord-Ouest, plus spécialement chargé de recueillir des renseignements. ‘

(4) Je n’arrive pas à me rappeler le monde cet infortuné compagnon.

(5) Assemblage de bambous femelles écrasés et entrelacés.

(6) Les Viets disaient Vinh - Thuy, il pouvait s’agir de Bac - Quang, à ne pas confondre avec Bac-Kan, situé plus à l’est.

(7) C’est-à-dire pieds et chevilles enflés par le béri-béri, ce qui leur donnait l’apparence d’humains montés sur des pattes d’éléphant.

(8) Confisquées dès notre capture, nos montres nous furent restituées à la libération.