PREMIER CONTACT AVEC LES VIETS
"Vous prisonniers ! Si vous rester tranquilles, moi cest peut-être pas couper les couilles".
Ce fut sur ces paroles peu rassurantes pour lavenir quallait poindre, pour le Caporal Lacassagne et son chef de section, laube du 18 octobre 1952. Le dernier point dappui du poste de Nghia-Lo, siège du P.C. du ler Bataillon Thaï, venait de tomber. La veille, nous avions assisté, impuissants, à la prise du "Piton" tenu par la 4ème Compagnie. Un à un tous les postes du secteur avaient ainsi été enlevés depuis le début du mois. Les portes du secteur NordOuest étaient désormais ouvertes aux forces armées du Viet-Minh.
"Dhivé, mao-len !" (1), ordonna cette fois le gradé viet après nous avoir, avec laide de ses hommes, désarmés. Bousculés, la baïonnette dans les reins, nous fûmes conduits vers le point de rassemblement où nos compagnons darmes nous attendaient depuis près dune heure déjà.
Il y avait là mon Chef de Bataillon (Cdt Thirion), son adjoint (Cne Bouvier dYvoire), mon Commandant de Compagnie (Cne Boillot), notre toubib (Médecin Lieutenant André), mes camarades sous-officiers, parmi lesquels quelques blessés, des hommes de troupe français, marocains et thaïs. Un certain nombre de têtes connues manquait.
Les poignets liés derrière le dos, ils étaient assis, groupés, serrés les uns contre les autres comme sils avaient eu froid, fatigués par les longues nuits de veille et la tension nerveuse du combat à peine terminé. Silencieux, le regard fixe, ils semblaient mesurer toute létendue de leur défaite. A quoi pensaient-ils ? Sans doute, tout comme moi, à leur famille. La reverraient-ils un jour ? Nul ne le savait.
Démunis de tout, ayant pour seuls vêtements un slip, un. maillot de corps et la tenue de combat quils portaient, sans chaussures (2) - celles-ci ayant été confisquées à titre de précaution contre toute évasion,- ils étaient anéantis, et ce fut avec le triste sourire de lhomme vidé de son énergie quils nous accueillirent.
Pour la plupart dentre eux, cet effondrement ne fut que passager, car il convenait en effet de se ressaisir très vite, de faire face à notre nouvelle situation, afin de tenir à tout prix.
Un ordre bref, ponctué de coups de crosses, interrompit ma méditation : la longue marche des Tu-Binhs (prisonniers) commençait.
Cela faisait exactement deux mois et vingt-sept jours que javais débarqué à Haïphong pour entamer mon deuxième séjour en Indochine, après seulement vingt-et-un mois passés en métropole, congé de fin de campagne compris.